Viens manger à notre table... / Allez, viens on t'invite
"Retrouver sa communauté à l'heure du confinement"
Édito
Il y a une certaine appréhension à écrire cette newsletter après avoir fait un break (in)volontaire pendant plusieurs mois. On s’est bien entendu posé la question, notamment à cause de nos emplois du temps, d’autres priorités qui émergent, à savoir si on avait envie de continuer cette newsletter et, si oui, pour quelles raisons.
What’s Good est née de notre envie de partager les choses qui nous font réagir, en bien comme en mal. De partager nos expériences mais aussi celles d’autres, qu’ils nous entourent ou que l’on découvre à travers un article, un album, un livre, une série/film… Cette newsletter, on l’a pensée comme une caisse de résonance. Un reflet de ce qui fait écho à nos vies et, on l’espère, aux vôtres. C’est d’ailleurs la raison de notre retour, écrire What’s Good nous a manqué. Prendre le temps d’écrire la newsletter, de réfléchir à des thématiques qui nous parlent et puis échanger avec vous nous a manqué.
En cette période de confinement où l’information circule à plein gaz, reprendre la newsletter nous a paru comme une évidence. Et quelle meilleure manière que de reprendre le fil de la conversation si ce n’est autour d’un repas ? Aussi fictif soit-il. Depuis que le Coronavirus a été déclaré en pandémie et que nous avons dû, comme tout le monde, faire le choix de nous isoler au maximum, la nourriture est devenue une manière d’occuper nos esprits. Pendant que les uns travaillent pour nous sortir de cette crise, pendant que les autres travaillent pour nous permettre de vivre cette crise plus “aisément”, en cuisinant par exemple.
Jennifer
Je me souviendrai toujours de ma cousine quand elle a annoncé qu’elle voulait faire un CAP Cuisine dans un lycée hôtelier, on lui avait dit que ce n’était “pas très prestigieux”, comparé à une filière générale en vue de faire du droit ou de la médecine plus tard. Elle n’a pas lâché, puis a fait ses stages dans quelques-uns des meilleurs restaurants, travaillé comme une acharnée, pour enfin se reculer de la “pression” du métier en devenant traiteur. J’y pense souvent, parce que plus de 20 ans plus tard, le discours a totalement changé. De “pas très prestigieux”, c’est même devenu élitiste, avec des reconversions de ceux et celles justement qui avaient préféré choisir une voie plus classique.
Elle, mais aussi mon père m’ont beaucoup appris sur la cuisine. La première avec la précision et la maîtrise (que je n’ai pas à 100%, soyons honnête) qu’on apprend en école hôtelière, le deuxième qui fonctionne plus à l’instinct et aux saveurs, plutôt qu’à la lettre. La cuisine finalement pour moi, c’est celle que je goûte au gré des ouvertures de “bonnes tables” et autres formules du midi, la bistronomie ayant permis à des budgets serrés de pouvoir y accéder plus facilement. Quand je voyage ou que je dîne chez ces ami.e.s qui aiment recevoir. C’est aussi celle que je fais pour moi, pour deux. Rarement pour une grande tablée, nos (ma) cuisines et nos (mon) appartements parisiens ne nous permettant pas d’organiser des festins dignes de ce nom. Ce que j’aime le plus dans l’acte de cuisiner et de dresser des plats, en dehors du fait que ça me repose mentalement, c’est aussi ce que ça procure, dans l’idée de partage, de sensations, de souvenirs de voyage, de moments, de transmission.
Elle m’intéresse aussi sociologiquement. À savoir pourquoi les chef.f.e.s et/ou journalistes culinaires sont devenus des stars à part entière ou comment d’un coup, la babka est à la mode ou les haricots de tous les plats. Pourquoi les émissions de cuisine sont aussi excitantes à regarder. Pourquoi une certaine prétention existe quand on parle de gastronomie. Pourquoi on pense que ça intéresse les autres de savoir ce qu’on a pris en entrée ou pour le dessert. Pourquoi la cuisine Levantine ou Italienne ont toutes les faveurs des critiques gastronomiques, ce qui est moins le cas pour la cuisine d’Afrique subsaharienne.
Bref. La cuisine me passionne pour ce qu’elle représente dans son ensemble, au-delà des réseaux sociaux, au-delà des “recettes à la mode”. Elle est passionnante parce qu’elle permet de dire tellement de choses que les meilleurs conteurs ne pourront jamais résumer. La cuisine me satisfait grandement quand elle est réussie, tout en me challengeant quand c’est moins le cas, en me chuchotant “Tu feras mieux la prochaine fois.”.
Mélody
J’ai l’impression d’avoir passé une bonne partie de mon enfance dans la cuisine, à regarder ma mère préparer nos repas ou bien à manger. La cuisine, pour moi, est un espace d’apprentissage et d’observation. Beaucoup d’entre nous ont en tête les premiers “rôles” qui leur ont été confiés au sein d’une cuisine : tenir le plat pendant qu’un des parents mélange son contenu et puis, lorsqu’il s’agissait d’un gâteau, le droit de lécher la cuillère, voire de se barbouiller le visage de pâte en léchant carrément le plat. C’était un moment où il était d’accord de se salir et à moindre mesure, de faire quelques erreurs.
Une de mes premières frayeurs, lorsque j’ai quitté le domicile familiale pour aller à la fac, a été la nourriture. Une frayeur largement partagée par ma mère qui a passé ma première année à me faire des rations de nourriture. J’avais de quoi manger des pâtes pendant des mois - moi qui n’ai découvert mon intérêt pour les pâtes que bien longtemps après, lors d’un voyage en Italie. Il m’a fallu quitter Nantes et rejoindre Bordeaux pour apprendre - toujours sous un œil maternel vigilant ponctué de : “tu as assez à manger ?" - à me faire des plats pour moi. J’ai acheté un livre de cuisine ou deux, un wok puisque c’était la grande mode à l’époque (2009, je suis pas non plus grabataire) et j’ai passé des heures à demander conseil… À ma mère.
Ma conception, de manger et de cuisiner est intrinsèquement liée à celle de famille. Celle dans laquelle on naît comme celle(s) qu’ont choisi. J’ai longtemps organisé des poulets du dimanche où je conviais des amis proches à venir manger “comme à la maison”. Étrange sensation pour moi que de revenir à l’idée de cuisiner et manger pour soi et non pas pour les autres.
Depuis quelques semaines, j’imagine comme tout le monde, j’appréhende un peu l’avenir, le mien et celui du monde dans lequel nous allons bientôt vivre. Cuisiner est devenu non plus juste une manière de manger ni de faire à manger pour réunir les gens que j’aime, mais de me rassurer et me réconforter. Une autre manière aussi de découvrir des proches en parlant de ce qu’ils mangent, cuisinent, achètent en terme de denrées. On s’échange des recettes, on papote de ce qu’on aime… On apprend les uns des autres. Si proche, si loin, mais toujours présents.
Le tour du web
La journaliste culinaire la plus tendance Alison Roman, n’a jamais été autant d’actualité que pendant ces semaines de confinement. Avec ses livres “Dining In” et “Nothing Fancy”, elle représente la passion bouffe de toute une génération. (The Cut)
L’épidémie du Covid-19 est un désastre pour l’humanité et les conséquences seront nombreuses. En tête de liste : le féminisme. (The Atlantic)
Comment font les travailleuses du sexe pendant cette période de confinement? Elles doivent s’adapter ou elles meurent. (Libé)
L’industrie de la restauration survivra-t-elle au Coronavirus ? C’est ce que se demande David Chang, plus connu comme chef de cuisine et fondateur des restaurants Momofuku. (New York Times)
La situation a prouvé que la majorité des célébrités qu’on aime habituellement sont insupportables (hormis peut-être Cardi B). Et surtout, la pandémie a cristallisé les inégalités sociales et économiques. (The Guardian)
Non, vous n’êtes pas en vacances ! “Le virus passe par les gens, et les gens qui voyagent le plus, au pays et à l'étranger, sont des gens riches.” (Buzzfeed US)
À regarder
Uncorked de Prentice Penny, avec Mamoudou Athie, Courtney B. Vance, Niecy Nash…
Hormis le titre horrible en Français (Le goût du vin) et cette photographie qui laisse parfois à désirer —quid de ce filtre grisâtre horrible qui rend tout le monde gris— Uncorked est une belle surprise.
L’histoire d’Elijah, un jeune homme passionné de vin qui travaille dans une cave à vins, en même temps que dans le restaurant de barbecue tenu par ses parents. Son rêve à lui : devenir sommelier. Le rêve de son père : qu’il devienne gérant du deuxième restaurant dont l’ouverture s’approche. Le film réussit à montrer parfaitement le tiraillement qui existe quand nos désirs ne s’accordent pas forcément à celui de nos parents, surtout dans des familles où la transmission familiale prime avant le reste.
La passion d’Elijah pour le vin relève aussi d’une rareté dans la société : l’oenologie est souvent vu comme «un truc de blancs». On voit très peu de représentations dans ce milieu, de personnes non-blanches œnologues, sommeliers, cavistes ou juste passionnées, pourtant elles existent. Rien que le synopsis du film mérite déjà son attention, parce que ça change de tous les scénarios qu’on a pu voir ces derniers temps, surfant sur le black trauma ou sur le racisme. Ici, c’est évoqué, mais ce n’est pas le propos. On a plus à faire à une histoire de liens familiaux, d’ambition professionnelle et de poursuite de rêves. Et de vin bien entendu. Ce qui est parfait pour le confinement qui plus est, mais aussi pour dropper quelques connaissances sur la tannicité du vin (coucou au club de vin de Jen).
Le film est doux et réaliste, drôle et émouvant, sans jamais tomber dans (trop) de clichés attendus. On ne vous en dira pas plus, mais même le séjour à Paris d’Elijah est plutôt réaliste quand on connaît le goût des Américains pour un Paris magnifié qui n’existe pas. Tout ceci est rendu possible grâce aux performances de Niecey Nash, Courtney B.Vances, plus connu.e.s du grand public et surtout de Mamoudou Athie, qui a une beauté subtile et un charisme fou qui se lisent dans son jeu. On l’avait découvert dans la superbe Sorry For Your Loss et il continue de nous charmer ici. Enfin, vous connaissez sans doute Prentice Penny sans le savoir, pour son travail sur Insecure (HBO), on peut y retrouver une atmosphère similaire parfois, mais aussi une BO incroyable, avec un bel hommage aux rappeurs de Memphis dont Yo Gotti qu’on peut entendre tout le long du film. Vin et rap, quel combo.
Ugly Delicious sur Netflix, une série documentaire avec le chef David Chang
Avec un titre pareil, on s’attendait un peu à tout et n’importe quoi. Mais Ugly Delicious s’est révélée être la parfaite émission culinaire pour qui a envie de découvrir l’histoire de la nourriture et l’importance capitale qu’a joué l’immigration dans l’élargissement de nos saveurs. On y parle sans fard d’héritage, de transmission, d’appropriation et d’appréciation culinaire.
Surtout, une des choses qu’on a le plus apprécié c’est la place qui est donné à l’Asie dans la série. Si aujourd’hui la nourriture asiatique peut se trouver à chaque coin de rue, il n’empêche qu’elle fait partie des cuisines critiquée le plus ouvertement notamment sur des lieux communs et résidus coloniaux comme l’insalubrité, le fait qu’il s’agirait d’une nourriture soit-disant trop grasse et pas assez raffinée.
Il y a aussi la question du tourisme et la manière dont il affecte les pratiques culinaires locales parce que pour l’occident le Japon c’est les sushis, l’Espagne c’est les tapas et les Paella… On se limite dans nos découvertes et surtout, on pousse les restaurateurs locaux à suivre nos envies laissant derrière eux un pan important de leur héritage culinaire. Bref, regarder Ugly Delicious c’est avoir l’estomac qui gargouille et l’esprit qui fait le plein.
À lire
Sel, gras, acide, chaleur de Samin Nosrat (Docu éponyme sur Netflix)
Cela peut vous paraître un peu étrange de conseiller un “livre de recettes” en lecture, sauf qu’ici ce n’est pas vraiment le cas, c’est plus un livre pour comprendre la cuisine, tout en la faisant.
En partant de ces quatre éléments, le sel, le gras, l’acidité et la chaleur, essentiels dans la majorité des plats, Samin Nosrat donne les bases pour maîtriser la cuisine selon ses propres goûts et selon ses envies. Elle contrecarre l’idée que la cuisine est linéaire, précise et que les recettes doivent être suivies parfaitement pour être réussies. Ce livre nous a redonné le goût de cuisiner de manière plus sereine, en nous disant qu’on n’avait pas besoin d’être “spécialiste” pour se sentir légitimes, ni de maîtriser un vocabulaire, mais plus d’apprendre un langage qui est l’acte en lui-même de cuisiner.
Ce qu’on aime avec l’approche de Samin Nosrat, qui va bien avec la génération de chefs excitants de notre génération, c’est qu’elle prend en compte la pluralité des saveurs qui existent dans le monde et part du principe que la cuisine occidentale n’est pas forcément la plus légitime, ni la meilleure. Et puis on rêve tout simplement de disucter longuement un jour avec elle, autour d’un repas forcément.
Humeur
Qui sommes-nous ?
Mélody Thomas est journaliste sur le digital de Marie Claire où elle écrit sur la mode et la place que celle-ci occupe dans notre société. Elle collabore également à d’autres médias dont Please Magazine et Swipe Life, la plateforme de Tinder, sur des sujets lifestyle. Depuis 2019, elle anime également un cours de mode et actualités à l’IFM.
Jennifer Padjemi est journaliste indépendante pour diverses publications, et créatrice du podcast "Miroir Miroir". Ses sujets de prédilection vacillent entre la culture, la société et le lifestyle. Elle se passionne pour toutes les tendances/phénomènes émergents en France ou à l'international, avec un angle sociologique pour tenter de comprendre ce que cela dit de notre société.