Édito
On est nombreux.ses à avoir en tête des souvenirs, étant petits, du fameux nettoyage de printemps. À cette période-là, généralement entre mars et avril, les maisons et appartement sont remis à neufs, les vitres sont nettoyées avec assiduité, les vêtements d’hiver filent au placard pour laisser place à des tenues plus légères, on change la couleurs des draps, l’épaisseur des couettes, on range les plaids… Cette année 2020, semble être particulièrement dédiée au nettoyage de printemps.
En raison d’une pandémie mondiale, nous avons été obligés de rester dans nos intérieurs, pour décharger le personnel hospitalier afin de sauver des vies, pendant que d’autres travailleurs précaires (caissiers-ères, livreurs, éboueurs…) nous permettaient de bénéficier des meilleurs conditions de télé-travail, en sécurité chez nous. Ce temps chez soi imposé, même en travaillant, a été l’occasion une fois de plus de faire un ménage général. Ce qu’il y a chez nous, ce qu’il y a dans notre tête avec dans un coin de la tête, une Marie Kondo qui résonne et nous demande «Does it spark joy ?». Nos jobs, nos amitiés, nos amours, nos liens familiaux, les lieux où l’on vit, les choses que l’on achète, notre système de valeurs. Il semblerait que désormais tout mérite une mise au point, une évaluation de qui nous sommes, ce vers quoi nous voulons tendre et avec qui nous souhaitons avancer.
Même si nous sommes officiellement “en déconfinement”, une sensation de stagnation persiste, notamment parce que de nouveaux rêves, de nouvelles envies ont vu le jour et qu’on ne sait plus trop ce que le futur nous réserve. Ce ménage de printemps n’est pas saisonnier, il est parti pour durer, puisque le monde devient de plus en plus incertain et que 2020 a décidé de *ne pas* nous épargner. Cette crise mondiale ne fait que mettre en exergue les inégalités déjà existantes et nous questionne constamment sur nos choix, à savoir si on veut juste repartir comme avant, comme si rien ne s’était passé, comme si ce confinement n’était qu’une simple retraite spirituelle (non). Le déconfinement aujourd’hui, la réouverture des lieux de vie demain, et la vie reprend son cours ? Nous espérons que ce ménage de printemps dans son placard et dans sa tête permettra de réfléchir à ce monde d’après dont on parle tant. Nous ne savons pas encore de quoi il sera fait, mais nous, nous sommes sûres de ce que nous ne voulons plus, et c’est déjà pas mal.
Le tour du web
Pourquoi il ne faut pas idéaliser les “girlboss” ? (Vice US)
“Black lives are conditional on how white people are feeling” (Wear Your Voice)
Comment le colorisme et la misogynoire ont affecté une génération entière de femmes dark-skinned en ligne et dans la vie. (Gal-dem)
Le feud entre Alison Roman et Chrissy Teigen a ouvert une discussion intéressante sur qui a le droit ou non de «bitcher» sur ses comparses, selon sa place et privilège dans la société. (The Financial Diet)
Est-ce que cette crise va changer nos habitudes de consommation ? (BuzzFeed)
Pendant que les travailleurs étaient au front, le confinement a permis/permet à la #teamJOMO de plus avoir d’excuses à trouver pour annuler ou refuser une sortie. (The New York Times)
À regarder
Normal People / Hulu - BBC - StarzPlay (dispo en France cet été)
Déjà classée phénomène culturel auprès de toute une génération, le succès de la série n’a rien d’étonnant. C’est juste une suite logique de la fascination que génère son autrice Sally Rooney depuis ses débuts, à l’origine du livre éponyme (son deuxième roman) dont la série est adaptée. Avec son écriture à la fois léchée et délicate, et sa description si juste des émotions, même les plus enfouies, elle a balayé d’un revers de la main, l’incarnation de Lena Dunham par son personnage Hannah Horvath dans Girls qui prétendait être la «voix de [sa] génération». Rooney est la voix d’une certaine génération qu’elle réussit à disséquer par sa plume où s’expriment toute la frustration, mêlée à la sensualité et aux questionnements existentiels que peuvent ressentir un homme et une femme de l’adolescence à l’âge adulte.
On ne peut que conseiller de lire l’oeuvre littéraire qui fera date, avant de regarder son adaptation télévisée, tant il est rare d’avoir une retranscription aussi fidèle par les images. Dans la série, Connell et Marianne prennent superbement vie, après les avoir tant imaginés. Leur manière de parler, de s’habiller, de s’insérer dans le monde, plus précisément en Irlande, pays dans lequel l’intrigue se passe principalement, ce qui est trop rare pour être noté.
C’est une série qu’on ne doit pas chercher à trop analyser comme on a pu le voir à maintes reprises, puisque tout est parfaitement calibré, dosé, mesuré, pour nous montrer l’essentiel et nous faire ressentir l’amour puissant entre deux personnes qui désirent le meilleur pour l’autre, sans toujours faire du bien à l’autre. C’est intimiste, vulnérable et puissant. C’est cathartique. Et c’est si beau. Avec à la réalisation Lenny Abrahamson et Hettie Macdonald qui captent à leur manière respective, toute l’exigence que Sally Rooney a envers ses personnages. Mentions spéciales pour l’épisode en Italie et à Paul Mescal, tous les deux d’une beauté sans nom.
À lire
Lovecraft Country, Matt Ruff
C’est la série éponyme de HBO, annoncée pour août, qui nous a donné envie d’attaquer Lovecraft Country de Matt Ruff. Dans ce roman - qui se lit presque comme un scénario puisqu’il a dès le début été pensé en tant que série, la réalité se mêle à la science-fiction, l’idée étant de palier au manque de diversité raciale au sein de ce genre et traiter des inégalités raciales entre noirs et blancs aux États-Unis.
Dans les années 50, soit à l’époque de la ségrégation où les lois Jim Crow sont en vigueur, Atticus Turner vétéran de la guerre de Corée part à la recherche de son père disparu. Il fait le voyage aux côtés de son amie d’enfance Letitia Dandridge et de son oncle George qui l’a initié à la science-fiction et tient une agence de voyages pour noirs.
Il y a des monstres extraordinaires bien sûr, dans ce récit qui mêle sorcellerie, fantômes maisons hantés et univers parallèles… Mais, le livre nous interroge sur ce qui est le plus effrayant pour un noir : un monstre surnaturel ou bien son propre voisin blanc ? Le policier dans la rue ? Votre patron ? Oscillant entre ces différentes formes de terreur, c’est aussi la littérature de H.P Lovecraft, l’un des pères de la science-fiction dont le racisme transpire souvent au travers de l’oeuvre.
Si le pari du livre n’est pas forcément réussi, l’écriture "scénarisée" faisant souvent quelques impasses sur la psychologie des personnages, notamment féminins, il n’empêche que la lecture reste appréciable, d’autant plus qu’elle reste actuelle. C’est sans doute en cela que réside sa force et qui rendra son adaptation presque facile.
De l’ouverture du livre qui relate une rencontre entre Atticus et un policier blanc à sa “fin” qui fait grimacer quant à la signification de la notion de sécurité pour un noir, rien ne semble avoir changé. Si le Guide du voyage serein à l’usage des noirs n’est plus de mise, une personne noire qui conduit, attend devant un magasin ou veut s’acheter un paquet de Skittles ne se sent jamais libre de ses mouvements ou d’être qui elle veut.
Humeur
Vivre notre meilleure vie comme notre nouvelle influenceuse préférée : Paula <3
Qui sommes-nous ?
Mélody Thomas est journaliste sur le digital de Marie Claire où elle écrit sur la mode et la place que celle-ci occupe dans notre société. Elle collabore également à d’autres médias dont Please Magazine et Swipe Life, la plateforme de Tinder, sur des sujets lifestyle. Depuis 2019, elle anime également un cours de mode et actualités à l’IFM.
Jennifer Padjemi est journaliste indépendante pour diverses publications, et créatrice du podcast "Miroir Miroir" sur les réprésentations du corps et de l’apparence. Ses sujets de prédilection vacillent entre la culture, la société et le lifestyle, avec un angle sociologique et une passion pour toutes les tendances/phénomènes émergents en France ou à l'international.